17/07/2023
Bernadette Mary Reis – Cité du Vatican
Tout commence par un rêve. En 1693, une femme de 29 ans, porteuse de handicap, vivant au carmel de Compiègne rêve de Jésus en compagnie de sa mère, de sainte Thérèse d'Avila et de deux autres carmélites qui avaient vécu dans le même monastère. Après avoir reçu des instructions sur sa propre vocation, elle a une vision dans laquelle elle voit un certain nombre de carmélites choisies pour «suivre l'Agneau».
Un bond en avant, en 1786: mère Thérèse de Saint-Augustin, nouvellement élue prieure du même monastère, trouve un récit de la vision que sœur Elisabeth Baptiste a eue avant de prononcer ses vœux de carmélite. Mère Thérèse a le pressentiment que ce rêve est une prophétie concernant sa communauté.
Quelques années plus tard, la Révolution éclate en France et le régime de la Terreur est mis en place. En février 1790, la suspension provisoire des vœux religieux est ratifiée. Le 4 août, les biens de la communauté carmélite sont inventoriés; le lendemain, toutes les religieuses sont interrogées et se voient offrir la possibilité de renoncer à leurs vœux. Au grand regret des dirigeants révolutionnaires, toutes les religieuses expriment leur ferme détermination à rester fidèles à leurs vœux jusqu'à la mort.
Pâques 1792: le 6 avril, le port de l'habit religieux devient illégal; deux jours plus tard, le rêve de sœur Elisabeth Baptiste est raconté aux sœurs de la communauté. Les événements se précipitent: en août, les monastères de femmes sont fermés et évacués et les biens des religieuses saisis.
Les vingt carmélites de Compiègne quittent leur monastère le 14 septembre, fête de l'Exaltation de la Croix. Avec l'aide d'amis, elles trouvent refuge dans quatre localités différentes et parviennent à acheter des vêtements civils pour chacune d'entre elles: elles n'ont pas assez d'argent pour acheter également des vêtements de rechange et leur demande de soutien auprès du gouvernement reste lettre morte.
Peu de temps après, mère Thérèse de Saint-Augustin consulte les quatre religieuses du chœur, les plus âgées, sur la proposition à faire à toute la communauté d'offrir leur vie pour le salut de la France: sa proposition s'enracine dans le désir de sainte Thérèse d'Avila de réformer le carmel. De manière compréhensible, elle se heurte à une résistance: qui, en réalité, se soumettrait volontairement à une décapitation au moyen de la guillotine nouvellement inventée?
Mais curieusement, quelques heures plus tard, deux des religieuses les plus âgées demandent à la prieure de leur pardonner leur manque de courage: cela ouvre la voie à mère Thérèse, qui propose aux autres membres de la communauté un acte de don de soi. A partir du 27 novembre, toutes les sœurs récitent un «acte de don de soi» pour le salut de la France, écrit par la prieure. Par la suite est ajoutée une intention pour que de moins en moins de personnes soient exécutées au moyen de la guillotine, et pour la libération des personnes arrêtées.
Le 21 juin 1794, des soldats perquisitionne les logements des religieuses. Le lendemain, elles sont arrêtées sur la base de preuves apparues lors de la perquisition, utilisées pour prouver qu'elles continuent à mener une vie consacrée et qu'elles sympathisent avec la monarchie. La communauté carmélite, qui comptait alors seize religieuses, se retrouve en état d'arrestation dans l'ancien couvent de la Visitation avec dix-sept sœurs bénédictines anglaises. Le 12 juillet, le maire de Compiègne fait irruption dans le couvent avec des soldats, surpris de trouver les femmes vêtues de leurs habits religieux: la seule tenue civile qu'elles possédaient était complètement trempée. A ce stade, le départ pour Paris, où le procès les attend, est inévitable.
Le 17 juillet, les seize carmélites et 24 autres prisonniers sont reconnus coupables d'être des «ennemis du peuple» - entre autres chefs d'accusation - et condamnés à mort. Les religieuses se préparent à l'accomplissement du rêve prophétique: bientôt elles suivront l'agneau.
Le soir même, Paris résonne de la voix des religieuses qui chantent l'office divin tandis qu’elles traversent les rues de la ville; le bourreau leur permet de terminer leurs prières pour les mourants, notamment le chant du Te Deum, suivi du Veni Creator et du renouvellement de leurs vœux. Après être montées à la potence, elles reçoivent une dernière bénédiction de la prieure, embrassent la statue de Notre-Dame et suivent l'agneau sacrifié.
Robespierre fut arrêté dix jours plus tard et exécuté le jour suivant. Les martyrs de Compiègne ont été béatifiées par Pie X en 1909, et le procès en vue de leur canonisation équipollente est actuellement en cours.
08/07/2023
À l’aumônerie d’une grande université parisienne, Inès, 20 ans, témoigne le sourire aux lèvres avec une joie communicative et un brin d’humour. Aujourd’hui, la jeune femme est catéchumène et chemine vers le baptême. Rayonnante, Inès semble épanouie dans sa nouvelle vie de catholique. Certaine d’avoir choisi la bonne voie, elle confie : « Les discussions avec moi au bout de 5 minutes retournent sur des questions de foi… de façon assez inexplicable ! » Depuis cet été, elle a découvert l’évangélisation de rue. « Il s’agit d’aller à la rencontre de quelqu’un comme le Christ vient à la rencontre de quelqu’un. » S’opposant aux discours « vis ta vie tant que t’es heureux », la jeune fille est convaincue que ce qui rend vraiment heureux, c’est le Christ ! L’étudiante est aussi très investie dans l’aumônerie de son école. Pour Inès, la foi est un cadeau précieux qu’elle veut partager, et elle incarne cette grâce au quotidien par la joie qu’elle transmet.
Mais Inès n’a pas toujours été catholique. Élevée dans l’islam depuis sa naissance, la jeune femme ne doute pas, jusqu’en 2021, que la confession musulmane est la bonne. « S’il fallait croire en Dieu, c’était par l’islam, et pas ailleurs », se souvient-elle. La foi de cette brillante étudiante en philosophie était surtout intellectuelle. En relisant sa vie, elle réalise aujourd’hui que les expériences de foi qu’elle a connues étant enfant sont le signe que Dieu la préparait depuis longtemps à sa conversion. Elle se rappelle qu’à 7 ans, elle est dans une voiture avec son oncle quand tout à coup, elle est « complètement frappée par la foudre ». Elle a alors le sentiment d’être « prise dans la puissance de Dieu ». Ces moments se reproduisent à plusieurs reprises lors de son adolescence, période marquée de doutes. Inès raconte : « Dans ma vie d’avant, j’ai eu des moments de vraie aridité spirituelle. » Avec le recul, la jeune fille arrive à mettre des mots sur ses périodes de doutes. « Je me suis éparpillée dans des tas de direction en croyant me chercher moi, sans voir qu’en amont il y avait un autre problème. Celui de savoir qui Dieu était pour moi, le rôle qu’il jouait dans ma vie et qui j’étais par rapport à lui, une question à laquelle l’islam ne donne pas de réponse. »
Aujourd’hui, tout est plus clair pour Inès, qui a trouvé dans le catholicisme des ressources inestimables. Alors qu’elle avait « un peu une foi d’intello » auparavant, la conversion d’Inès a d’abord été spirituelle. Elle réalise que « sa façon d’habiter sa propre intériorité n’est pas du tout la même » depuis qu’elle est chrétienne. Sa foi est beaucoup plus incarnée, sa relation à Dieu elle aussi a beaucoup changé. Particulièrement sensible au mystère de la croix, elle se sent en permanence accompagnée par Dieu, notamment dans la souffrance. Appelée et touchée par le Christ, elle explique : « Jésus, c’est la personne de la Trinité qui m’a réconciliée avec Dieu. »
C’est en première année de prépa littéraire, alors qu’elle traverse une épreuve particulièrement difficile, que la vie d’Inès prend un tournant considérable. A ce moment-là, la jeune fille rejette Dieu, le rendant responsable de sa douleur. « Si Jésus n’était pas venu me sauver, je pense que j’aurais fini par perdre la foi », conclut-elle aujourd’hui. Un jour de profond désespoir, elle entre dans une église. Le regard fixé sur une croix, elle ne « voit » rien, mais elle entend. Aussi sûrement que si quelqu’un lui parlait, elle sent que Jésus lui propose de tout lui déposer : « Tu n’es pas obligée de porter ça. » À l’instant où elle sort de l’église, Inès sait bien que « quelque chose a très brutalement changé ».
Quelque temps après sa première conversion, Inès fait de nouveau face aux épreuves et à l’incertitude. Une nouvelle fois, le Christ vient la chercher « d’une manière un peu différente de la première fois, qui était très belle et très gratuite ». C’est alors qu’elle se dit : « tant pis pour les parents ». Elle tombe sur cette parole : « Qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas propre au royaume de Dieu », qui résout tout pour elle. « On n’a pas coupé les ponts, mais ça n’est pas simple. » Les rapports sont compliqués avec sa famille, toujours musulmane pratiquante. Inès prie tous les jours pour leur conversion, ainsi que pour celle de tous les musulmans. Le sens de la communauté propre au christianisme, elle le vit donc avec ses amis et son aumônerie. « Cette joie de partager la foi avec les frères, le corps, la communion des saints qui permet le lien », elle ne l’avait pas dans l’Islam, « religion assez individualiste ».
Aujourd’hui, Inès lit régulièrement des vies et des écrits de saints. Elle confie trouver « une richesse inestimable » dans les écrits de saint Alphonse de Liguori. « Je crois qu’il m’a touché à cause de mon rapport à l’épreuve toujours très compliqué. » Ce saint l’a aidé à accepter qu’ »on ne choisit pas ses croix », et que « c’est par les croix les plus douloureuses qu’on est le plus sanctifié ». Inès témoigne : « C’est très difficile de dire avec une unité de cœur parfaite Seigneur merci pour cette souffrance, parce qu’elle me rapproche de toi si j’en fais un bon usage. »
Son Évangile préféré ? Celui de Saint-Jean, « d’une beauté que je trouve extraordinairement troublante, plus je le lis moins j’ai l’impression de comprendre ». Inès a l’impression d’avoir été accompagnée longtemps par Saint Thérèse de l’Enfant Jésus. Inès retire de sa vie une grande leçon sur la sainteté. Elle s’exclame : « Sainte Thérèse, elle est tellement parfaite ! Quelle difficulté spirituelle peut-elle bien avoir dans son existence ? » Derrière les abords « un peu lisses » se trouve en fait une vie intérieure d’une ampleur immense, « simplement plus cachée car c’est beaucoup plus dans le mystère de Dieu ». dit-elle. Au quotidien, Inès constate une multitude de « petits signes extrêmement frappants », mais aussi certains textes dans la lecture du jour qui se révèlent « extraordinairement ajustés » à ce qu’elle vit.
30/06/2023
Si nous voulons comprendre la crise dans laquelle non seulement notre monde contemporain, mais aussi l'Église militante elle-même sont littéralement "immergés", la signification des œuvres de Sainte Hildegarde peut être cruciale. C'est ce que nous apprend un discours prononcé par le pape Benoît XVI le 20 décembre 2010 devant la Curie romaine : s'efforçant d'aborder les scandales extrêmement graves d'abus sexuels commis par des prêtres, le Saint-Père a cité une vision décrite par sainte Hildegarde dans une lettre adressée à Werner von Kirchheim et à sa communauté sacerdotale, une vision qu'il a reliée de manière équivoque à l'état actuel de l'Église :
"Dans la vision de sainte Hildegarde, le visage de l’Église est couvert de poussière, et c’est ainsi que nous l’avons vu. Son vêtement est déchiré – par la faute des prêtres. Ainsi comme elle l’a vu et exprimé, nous l’avons vu cette année (souligné par nous)".
Nous pouvons observer que la vision de sainte Hildegarde, vieille de huit cents ans, est rapportée par le Pape Benoît XVI à une situation qui s'est produite au cours des 50 dernières années. Il est fort probable que, ce faisant, le Saint-Père ait voulu non seulement indiquer la récurrence d'une situation malheureuse causée par la commission de certains péchés par les membres des ordres sacrés, mais aussi attirer l'attention sur la pertinence des visions de sainte Hildegarde. C'est pourquoi il a proclamé la célèbre mystique germanique Docteur de l'Eglise.
Dans le même ordre d'idées, et sans multiplier les commentaires, nous présenterons quelques-uns des traits les plus significatifs de l'Antéchrist tel qu'il est dépeint dans ses œuvres, le Scivias - probablement achevé entre 1151 et 1152 - et le Liber divinorum operum (Livre des œuvres divines) - achevé en 1173. Cela permettra à nos lecteurs d'évaluer si ces traits peuvent être "appliqués" à la crise actuelle ou non.
Tout d'abord, en se référant au domaine de l'histoire universelle, sainte Hildegarde le déchiffre à la manière de saint Bède le Vénérable, en utilisant le chiffre symbolique sept issu du livre de l'Apocalypse de l'apôtre saint Jean :
"En six jours, Dieu a accompli ses œuvres, et le septième jour, il s'est reposé. Qu'est-ce que cela signifie ? Les six jours sont six époques numérotées, et c'est au cours de la sixième époque que les derniers miracles ont été accomplis dans le monde, car Dieu a achevé son œuvre le sixième jour. Mais maintenant le monde est dans la septième époque, approchant de la fin des temps, comme au septième jour".
La septième et dernière période de l'histoire est divisée en cinq autres époques, chacune d'elles étant associée à un animal ayant une signification symbolique : un chien, "ardent mais non brûlant", un lion jaune, un cheval pâle, un porc noir et un loup gris. Les deux dernières bêtes révèlent les principaux vices qui seront universellement répandus au cours des deux dernières époques de toute l'histoire humaine, époques qui se situent avant la seconde venue de Jésus-Christ décrite au chapitre 19 du Livre de l'Apocalypse.
La nature de l'animal lui-même, le porc, ainsi que sa couleur, le noir, représentent les vices sexuels infâmes auxquels se livreront les dirigeants politiques et ecclésiastiques (rectores) du monde dans une mesure jamais vue dans toute l'histoire.
Le loup gris, dont la couleur est un mélange de noir et de blanc, symbolise la ruse du vol généralisé parmi ceux qui se pilleront les uns les autres. Comme les voleurs d'une même bande, ils se montreront amicaux les uns envers les autres pour ensuite trouver des occasions de se spolier. Dans cette atmosphère de vol entièrement corrompue, "l'erreur des erreurs s'élèvera de l'Enfer au Ciel". Le porteur de cette doctrine abominable est l'Antéchrist.
Le "fils de la perdition" (2 Th 2,3) ne dominera pas par la magie et la sorcellerie, mais par le pouvoir de persuasion de ses paroles trompeuses. Il sera essentiellement un manipulateur de langage, trompant ses interlocuteurs d'une manière comparable à celle de son maître, "le père du mensonge" (Jn 8,44). C'est le premier trait remarquable de l'ennemi du Christ, tel qu'il est décrit dans le Liber Divinorum Operum :
"Mais ceux qui ont été perfectionnés dans la foi catholique attendront dans leur profonde détresse ce que Dieu a ordonné dans sa volonté. Et ces crises continueront d'avancer de la sorte jusqu'à ce que le fils de la perdition ouvre la bouche pour enseigner ses opinions contraires. Mais lorsqu'il aura prononcé les fausses paroles de ses mensonges (souligné par nous), le ciel et la terre trembleront ensemble".
De nouveau, sur quelques pages, la diffusion d'un faux enseignement est encore plus fortement soulignée en même temps que la description du contenu de cette doctrine perverse (perversam ou contrariam doctrinam) :
"L'Antéchrist sera en effet insuflé par le diable lorsqu'il ouvrira sa bouche pour enseigner la perversité, comme décrit ci-dessus. Il détruira tout ce que Dieu a établi dans l'ancienne et la nouvelle loi, et il affirmera que l'immoralité sexuelle et d'autres choses semblables ne sont pas du tout des péchés. Il affirmera en effet que ce n'est pas un péché si la chair réchauffe la chair, tout comme ce n'est pas un péché si une personne se réchauffe au feu. Il affirmera aussi que tous les commandements concernant la chasteté ont été faits dans l'ignorance, car comme une personne peut être chaude et une autre froide, elles doivent se modérer l'une l'autre avec leur chaleur et leur froideur". (Liber Divinorum Operum)
En réfléchissant attentivement à la citation ci-dessus, tout devient immédiatement clair comme de l'eau de roche. Le cœur des enseignements antéchristiques concerne directement la loi morale. Plus précisément, l'ennemi de notre salut postule que tout type d'acte défini comme péché par la loi morale et la tradition chrétienne ne l'est pas. La diffusion de la doctrine perverse de l'Antéchrist conduira à la justification de péchés extrêmes tels que la pédophilie et l'inceste. En fait, Sainte Hildegarde laisse entendre qu'un nombre important de baptisés le suivront. Mais comment cela est-il possible ?
Certes, être "serviteur du péché" (Rm 6,17) est un état spirituel qui obscurcit l'intellect et entrave le discernement. C'est sans doute une cause majeure de la diffusion d'une doctrine antichrétienne. Mais il y a une autre explication qui peut être encore plus importante : le mépris de la Tradition ascétique et morale des ancêtres. Sous l'impulsion du faux évangile de l'Antéchrist, voici ce que diront ses adeptes :
"Oh, malheur aux malheureux qui ont vécu avant ces temps ! Car ils ont rendu leur vie misérable par des douleurs atroces, sans connaître, hélas, la bonté de notre Dieu !". (Scivias)
Ce mode de pensée anti-traditionnel s'accompagne d'une perversion totale des enseignements théologiques révélés sur Dieu, qui s'opère dans leur esprit. L'image du Dieu Créateur de l'univers est profondément déformée. Toute mention de la justice et de la colère divine est éliminée. Le problème majeur pour ceux qui suivent la doctrine de l'Antéchrist n'est pas seulement que le Dieu exclusivement "miséricordieux" qui leur permet tous les péchés n'est pas le vrai Dieu, mais aussi que l'usurpateur cherche à se substituer à lui, en obtenant la gloire et l'adoration qui n'appartiennent qu'à notre Sauveur, Jésus-Christ. L'essence de ses tromperies est révélée dans Scivias :
"Il s'appropriera un grand nombre de personnes et il leur dira de faire leur propre volonté" (souligné par nous).
Si nous contemplons l'océan de péchés dans lequel le monde d'aujourd'hui est plongé, nous nous rendons compte que c'est l'explication la plus profonde et la plus cohérente d'une situation sans précédent. L'encouragement des habitants du monde (post-)moderne à suivre le cours de leur vie, en accomplissant constamment leur propre volonté, est le "moteur" du déclin brutal et rapide de notre culture et de notre civilisation occidentales.
Dans le domaine de la vie ecclésiastique, le résultat de la "politique" de l'Antéchrist est rapporté par sainte Hildegarde lorsqu'elle mentionne "les grands schismes qui viendront avec le fils de la perdition" (Scivias). Sa capacité à tromper et à manipuler par le pouvoir de ses paroles, générant une illusion qui voile l'esprit de ceux qui l'écoutent, est si grande que de nombreux catholiques le suivront. Par conséquent, ses enseignements hérétiques provoqueront des schismes qui les sépareront, lui et ses disciples, de la véritable Église chrétienne.
En plus de tout cela, l'aspect le plus intéressant des visions et des enseignements de sainte Hildegarde sur l'Antéchrist est le plus surprenant. Si surprenant que la sainte elle-même semble avoir peur de le dire explicitement : l'Antéchrist est - formellement - chrétien (c'est-à-dire catholique). Loin d'être considéré, comme nous le voyons chez d'autres Saints Pères et Docteurs, comme un représentant d'une religion différente du christianisme, l'Antéchrist est certainement un membre officiel de l'Église. Et il ne semble pas être un membre ordinaire. Si l'on considère les schismes mentionnés dans les prophéties susmentionnées, il apparaît comme un hiérarque de haut rang au sein de l'Église. En tout état de cause, l'identité chrétienne de l'Antéchrist apparaît clairement dans la partie la plus singulière de la vision décrite dans le Scivias :
"Et je vis de nouveau la figure d'une femme que j'avais déjà vue devant l'autel qui se tient devant les yeux de Dieu ; elle se tenait à la même place, mais maintenant je la voyais à partir de la ceinture. Elle se tenait au même endroit, mais je la voyais maintenant à partir de la taille. Depuis la taille jusqu'à l'endroit qui désigne la femme, elle avait diverses taches écailleuses ; et à cet endroit se trouvait une tête noire et monstrueuse. Elle avait des yeux ardents, des oreilles d'âne, des narines et une gueule de lion ; elle ouvrait largement ses bajoues et faisait terriblement claquer ses horribles dents couleur de fer. Depuis la tête jusqu'aux genoux, la figure était blanche et rouge, comme meurtrie par de nombreux coups ; et depuis les genoux jusqu'aux tendons qui rejoignaient les talons, qui paraissaient blancs, elle était couverte de sang. Et voici ! Cette tête monstrueuse se détacha de sa place avec un tel choc que la figure de la femme fut ébranlée dans tous ses membres. Une grande masse d'excréments adhérait à la tête ; elle s'éleva sur une montagne et essaya de gravir les hauteurs du ciel. Et voici que soudain un coup de tonnerre vint frapper cette tête avec une telle force qu'elle tomba de la montagne et rendit l'esprit dans la mort".
L'Église elle-même est donc représentée par l'icône d'une femme majestueuse, dans la zone spécifiquement féminine de laquelle se trouve une tête monstrueuse symbolisant l'Antéchrist. Chaque détail de cette tête abominable est significatif. Les oreilles de l'âne indiquent l'obstination avec laquelle il s'accrochera à ses propres enseignements hérétiques - la "doctrine perverse" - qu'il répandra. Les narines et la gueule du lion évoquent à la fois la férocité démoniaque avec laquelle il déchirera la foi orthodoxe et la violence physique et/ou spirituelle avec laquelle il persécutera les vrais chrétiens. L'ascension vers le ciel indique son orgueil, qui atteindra des proportions inimaginables. La dislocation violente - la femme est secouée dans tous ses membres - indique la séparation (ou l'exclusion ?) de l'Église qui se produira à travers les schismes dans lesquels il entraînera ses disciples (la masse d'excréments adhérant à la tête monstrueuse).
Nous n'avons pas voulu décrire tous les détails des visions de sainte Hildegarde de Bingen concernant l'Antéchrist. Nous avons voulu mettre en évidence seulement quelques points particulièrement significatifs, que nous résumons comme suit :
- La doctrine antichristique (c'est-à-dire la théologie pervertie). La puissance trompeuse de l'Antéchrist vise un but précis : substituer à l'authentique Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ un anti-Évangile qui justifie notamment les péchés sexuels. Un aspect clé de la doctrine perverse de l'Antéchrist est la distorsion des enseignements théologiques sur Dieu. En proposant une image de Dieu d'où la justice et la vengeance divines sont absentes (image par laquelle il peut attirer un grand nombre d'adhérents chrétiens), il se substitue en fait au Créateur suprême.
- Les schismes. La diffusion de la doctrine perverse (doctrinam perversam) de l'Antéchrist conduira à quelques schismes, culminant dans un schisme majeur final qui séparera l'Antéchrist et ses adhérents de l'Église.
Ceci étant dit, nous ne pouvons que vous inviter à (re)lire et à méditer les textes de sainte Hildegarde, en gardant à l'esprit les paroles de l'Évangile de notre Roi et Sauveur, Jésus-Christ :
"Que celui qui a des oreilles entende !" (Mt 11,15)
27/06/2023
Cela semble paradoxal : l'annonce du Royaume de Dieu est un message de paix et de justice, fondé sur la charité fraternelle et le pardon, et pourtant elle se heurte à l'opposition, à la violence, à la persécution. Jésus, cependant, nous dit de ne pas avoir peur : non pas parce que tout ira bien dans le monde, non, mais parce que pour le Père nous sommes précieux et que rien de ce qui est bon ne sera perdu. Il nous dit donc de ne pas nous laisser arrêter par la peur, mais de craindre autre chose, une seule chose. Quelle est la chose que Jésus nous dit de craindre ?
Nous le découvrons à travers une image que Jésus utilise aujourd'hui : celle de la "Géhenne" (cf. v. 28). La vallée de "Geenna" était un lieu que les habitants de Jérusalem connaissaient bien : c'était la grande décharge de la ville. Jésus en parle pour dire que la vraie peur à avoir est celle de jeter sa vie. Jésus dit : "Oui, ayez peur de cela". Comme pour dire : ce n'est pas tant d'avoir peur de subir l'incompréhension et la critique, de perdre le prestige et les avantages économiques pour rester fidèle à l'Évangile, mais de gâcher son existence à courir après des choses insignifiantes, qui ne donnent pas de sens à la vie.
Et ceci est important pour nous. Aujourd'hui encore, en effet, on peut être moqué ou discriminé si l'on ne suit pas certains modèles à la mode qui, pourtant, mettent souvent au centre des réalités de second ordre : par exemple, suivre les choses au lieu des personnes, les performances au lieu des relations. Prenons quelques exemples. Je pense aux parents, qui doivent travailler pour subvenir aux besoins de la famille, mais qui ne peuvent pas vivre uniquement de leur travail : ils ont besoin de temps pour être avec leurs enfants. Je pense aussi à un prêtre ou à une religieuse : ils doivent s'engager dans leur service, mais sans oublier de consacrer du temps à être avec Jésus, sinon ils tombent dans la mondanité spirituelle et perdent le sens de ce qu'ils sont. Et encore, je pense à un jeune, homme ou femme, qui a mille engagements et passions : école, sport, intérêts divers, téléphones portables et réseaux sociaux, mais qui a besoin de rencontrer des gens et de réaliser de grands rêves, sans perdre de temps avec des choses qui passent et ne laissent pas de traces.
Tout cela, frères et sœurs, implique un certain renoncement face aux idoles de l'efficacité et du consumérisme, mais c'est nécessaire pour ne pas se perdre dans les choses, qui sont ensuite jetées, comme cela se faisait dans les Geennas d'autrefois. Et dans la Gehenne d'aujourd'hui, on finit souvent par : penser aux derniers, souvent traités comme des déchets et des objets indésirables. Rester fidèle à ce qui compte, cela coûte de l'argent, cela coûte d'aller à contre-courant, cela coûte de se libérer des conditionnements de la pensée commune, cela coûte d'être mis à l'écart par ceux qui "suivent la vague". Mais cela n'a pas d'importance, dit Jésus : ce qui compte, c'est de ne pas gaspiller le bien le plus précieux, la vie. Cela seul devrait nous effrayer.
Demandons-nous alors : moi, de quoi ai-je peur ? De ne pas avoir ce que j'aime ? De ne pas atteindre les objectifs que la société impose ? Du jugement des autres ? Ou de ne pas plaire au Seigneur et de ne pas faire passer son Évangile en premier ? Marie, toujours Vierge, Mère toujours sage, aide-nous à être sages et courageux dans les choix que nous faisons.
24/06/2023
L'Église célèbre la naissance du Sauveur au solstice d'hiver et celle de Jean-Baptiste au solstice d'été. Ces deux fêtes, séparées l'une de l'autre par un intervalle de six mois, appartiennent au cycle de l'Incarnation ; elles sont, par leur objet, dans une mutuelle dépendance ; à cause de ces relations, on peut leur donner le même titre, c'est en latin : nativitas, naissance ; natalis dies,Noël.
Pourquoi célébrer la naissance de Jean-Baptiste, se demande saint Augustin, dans un sermon qui se lit à l'office nocturne ? La célébration de l'entrée de Jésus-Christ dans ce monde s'explique fort bien ; mais les hommes - et Jean-Baptiste en est un - sont d'une condition différente ; s'ils deviennent des saints, leur fête est plutôt celle de leur mort : leur labeur est consommé, leurs mérites sont acquis ; après avoir remporté la victoire sur le monde, ils inaugurent une vie nouvelle qui durera toute l'éternité. Saint Jean-Baptiste est le seul à qui soit réservé cet honneur ; et cela dès le cinquième siècle, car la nativité de la Vierge Marie ne fut instituée que beaucoup plus tard. Ce privilège est fondé sur ce fait que Jean a été sanctifié dès le sein de sa mère Élisabeth, quand elle reçut la visite de Marie sa cousine ; il se trouva délivré du péché originel ; sa naissance fut sainte, on peut donc la célébrer. C'est un homme à part, il n'est inférieur à personne, non surrexit inter natos mulierum major Jobanne Baptista. L'ange Gabriel vint annoncer sa naissance, son nom et sa mission, nous dit saint Maxime, dans une leçon de l'octave ; sa naissance merveilleuse a été suivie d'une existence admirable, qu'un glorieux trépas a couronnée ; l'Esprit Saint l'a prophétisé, un ange l'a annoncé, le Seigneur a célébré ses louanges, la gloire éternelle d'une sainte mort l'a consacré. Pour ces motifs, l'Église du Christ se réjouit dans tout l'univers de la naissance du témoin qui signala aux mortels la présence de celui par lequel leur arrivent les joies de l'éternité.
Saint Augustin, qui s'appliquait à découvrir les raisons mystérieuses des événements, a voulu savoir pourquoi Jésus-Christ est né à l'équinoxe d'hiver et Jean-Baptiste à celui d'été. Dans le sermon du quatrième jour dans l'octave, il nous propose ce qu'il a découvert : Jean est un homme, le Christ est Dieu. Que l'homme se fasse petit, pour que Dieu apparaisse plus grand, suivant ces paroles dites par Jean au sujet du Sauveur : il faut qu'il croisse et que moi, je diminue. Pour que l'homme soit abaissé, Jean naît aujourd'hui, où les jours commencent à diminuer ; pour que Dieu soit exalté, le Christ naît au moment où les jours commencent à grandir. tout cela est très mystérieux. La naissance de Jean-Baptiste, que nous célébrons, est, comme celle du Sauveur, pleine de mystère. Quel est ce mystère, si ce n'est celui de notre humiliation, comme la naissance du Christ est pleine du mystère de notre élévation.
Ces témoignages de saint Maxime et de saint Augustin prouvent que cette fête est l'une des plus anciennes du calendrier. Sa célébration est constatée dès le milieu du quatrième siècle. Elle a déjà sa place parmi les solennités importantes ; on lui donna bientôt une octave et une vigile et elle traversa le moyen âge avec ce complément.
Les Pères du Concile de Bâle, dans leur quarante-troisième session (1441), firent suivre son octave d'une fête nouvelle, la Visitation, et Eugène IV eut soin de confirmer plus tard cette mesure. Ce n'est pas le Concile de Bâle, il est vrai, qui établit cette fête, il n'eut qu'à la fixer au 2 juillet ; son institution remonte au pontificat d'Urbain VI qui espérait, par ce moyen, appeler la protection de Notre Dame sur l'Église menacée d'un nouveau schisme ; la bulle qui lui assignait un jour après l'Annonciation fut promulguée par Boniface IX (1389).
Le Noël d'été a, comme celui d'hiver, son cortège liturgique. Sa vigile est une réduction de l'Avent : L'Église présente à nos réflexions le récit évangélique de la mission de l'ange Gabriel auprès de Zacharie, pour lui prédire la naissance d'un enfant : l'envoyé céleste lui dit qu'il sera grand devant le Seigneur ; l'Esprit Saint le remplira de sa vertu, dès le sein de sa mère ; il convertira un grand nombre de fils d'Israël au Seigneur leur Dieu ; il précédera le Seigneur, dans l'esprit et la vertu d'Élie ; il conciliera aux fils le cœur des pères ; il amènera les incrédules à la prudence des justes ; il préparera au Seigneur un peuple parfait. L'octave de la fête pourrait fort bien être appelée la circoncision de Jean-Baptiste : en ce jour, son père lui donna son nom et il entonna ceBenedictus Dominus Deus Israël que nous chantons tous les jours de l'année, à l'office du matin, en l'honneur de l'Oriens ex alto. La Visitation est, en quelque sorte, l'épiphanie de Jean-Baptiste : il confesse par un tressaillement la manifestation de Jésus, caché dans le sein maternel. Notre Dame chante au Seigneur le Magnificat anima mea Dominum.Ce Noël d'été précède le Noël d'hiver, comme saint Jean-Baptiste est le précurseur de Jésus-Christ ; elle l'annonce ; nous le verrons paraître quand le soleil sera au terme de ses diminutions.
L'objet historique de la fête et la doctrine qui l'éclaire sont exposés par saint Luc, au chapitre premier de son Évangile. Les trois passages qui nous intéressent sont lus aux messes de la vigile, de la Nativité et de la Visitation ; il est nécessaire d'y ajouter quelques lignes de l'évangile de saint Jean, qui termine la messe : Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Johannes ; his venit in testimonium, ut testimonium perbiberet de lumine, ut omnes crederent per illum ; non erat ille lux, sed ut testimonium perbiret de lumine. Il est le témoin, le précurseur, la voix de Dieu...
Une mission de ce caractère n'a pu échapper aux Prophètes de l'Ancien Testament ; il faut nous attendre à trouver, sous leur plume, des figures lumineuses qui aident à la saisir. Le plus expressif est Jérémie. Le début de sa prophétie s'applique aussi bien à saint Jean-Baptiste qu'à lui-même ; l'analogie est frappante ; il n'y a qu'à le reproduire et chacun, à première vue, pourra s'en convaincre : La parole du Seigneur s'est fait entendre ; il me disait : Je te connaissais avant de te former dans le sein de ta mère ; je t'ai sanctifié avant que tu en sortes ; je t'ai choisi pour être mon prophète devant les nations. Et j'ai bégayé, A, a, a, Seigneur, mon Dieu ; mais je ne sais pas parler, je ne suis qu'un enfant. Et le reste. L'Église fait lire Jérémie aux matines de la fête et à la messe de la vigile. L'épître du jour est empruntée à Isaïe ; c'est de Jean-Baptiste qu'il écrit : Que les îles écoutent ; peuples éloignés, faites attention. Le Seigneur m'a appelé, il s'est souvenu de mon nom dès le sein de ma mère. Il a fait de ma langue un glaive aigu ; il m'a protégé de l'ombre de sa main ; il m'a pris comme une flèche de son choix et il m'a caché dans son carquois... Le Seigneur, qui a fait de moi son serviteur dès le sein maternel, me dit : Je t'ai donné aux nations comme leur lumière pour que tu sois mon salut jusqu'aux extrémités de la terre.
Ces lectures fournissent le texte des antiennes et des répons : l'introït et le graduel enferment, dans leur mélodie, ce que Jérémie et Isaïe ont pu dire de la sanctification de Jean-Baptiste avant sa naissance ; le verset alleluiatique et la communion répètent cette déclaration de Zacharie devant le berceau et les langes de son enfant : Tu, puer, Propheta altissimi vocaberis ; prœibis enim ante faciem Domini parare vias ejus. Tu t'appelleras, enfant, le prophète du Très-Haut ; tu iras devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies. Nous retrouvons ces mêmes paroles aux offices du jour et de la nuit : les antiennes, qui accompagnent les psaumes de vêpres, de matines ou de laudes, sont tirées de l'Évangile et des prophètes. Les unes prennent les traits principaux du récit et le reconstituent ; par exemple, celles des laudes et des secondes vêpres : Élisabeth Zachariæ magnum virum genuit, Jobannem prœcursorem Domini, c'est l'annonce de l'événement ; de là, nous passons à la circoncision et à la tradition du nom : Innuebant patri ejus, quem vellet vocari eum ; et scripsit, dicens : Joannes est nomen ejus ; la troisième revient sur la même pensée ; après quoi, il semble que nous soyons mis en présence de l'enfant et, en le saluant nous ne pouvons que lui rendre les témoignages contenus dans l'Évangile : Inter natos mulierum non surrexit major Jobanne Baptista. Les antiennes des premières vêpres traduisent les mêmes impressions et empruntent leurs formules aux mêmes sources : le peuple chrétien se représente la scène et s'approprie les sentiments et le langage de ceux qui remplissent un rôle actif ; avec eux, il dit de Jean : Ipse præbit ante illum in spiritu et virtute Eliæ - Joannes est nomen ejus ; vinum et siceram non bibet. - Ex utero senectutis et sterili Joannes natus est præcursor Domini. Je ne dis rien des antiennes de matines : elles ont ce même caractère. Pendant que l'âme s'applique à suivre le sens des psaumes, l'imagination est occupée par ces souvenirs ; cela ne lui damande guère d'effort ; elle est paisible ; l'esprit, qui reçoit ses impulsions, découvre dans la psalmodie, à la faveur d'aperçus auxquels il n'aurait jamais songé de lui-même, des allusions ingénieuses à la solennité ; la pensée de saint Jean apparaît partout.
Les observations faites au sujet des antiennes valent pour les répons ; on s'exposerait, en les citant, à des répétitions inutiles : ils transportent, dans le chant, des textes connus déjà ; je n'en reproduirai qu'un, d'une facture assez originale. Hic est præcursor dilectus, voici le précurseur bien-aimé, et lucerna lucens ante dominum, et la lumière qui brille devant le Seigneur. Ipse est enim Joannes, qui viam Domino preparavit in eremo, c'est Jean qui a préparé au Seigneur la voie dans le désert, sed et Agnum Dei demonstravit et illuminavit mentes hominum, il a montré l'agneau de Dieu et éclairé l'esprit des hommes. Ipse præibit ante illum in spiritu et virtute Eliæ. En résumé, les antiennes et les répons ne font que répéter ce que l'Évangile présente de saillant ; ces traits sont de nature à pénétrer l'âme de la mission du précurseur et de son importance ; ils accroissent, par leur répétition même, l'admiration pour son caractère et sa personne ; son souvenir prend vie dans le cœur.
L'Ange Gabriel avait annoncé à Zacharie que la naissance de Jean serait, pour un grand nombre, une occasion de joie, multi in nativitate ejus gaudebunt. En souvenir de cette prophétie, sa fête est joyeuse ; elle a pour signe caractéristique une allégresse qui ne se trouve pas ailleurs. L'Église invite les fidèles à s'y abandonner ; il lui suffit de leur répéter, par ses antiennes, les paroles de Gabriel. Mais la piété chrétienne ne s'est pas contentée du chant liturgique pour manifester sa joie ; elle a emprunté, en les transformant, les usages par lesquels les païens célébraient le solstice : on sait que l'instinct qui portait ces derniers à substituer, dans leur vénération religieuse, les forces créées de la nature à leur auteur, les faisait rendre un culte au soleil et au feu dont il est le grand foyer ; leur dévotion s'épanchait en manifestations bruyantes, au moment des équinoxes ; les fêtes, qui bénéficiaient d'une popularité extraordinaire, consistaient surtout en des réjouissances publiques ; la principale était d'allumer de grands feux autour desquels dansait la population. Le paganisme grec et romain avait eu l'art de mêler ainsi son culte à la vie extérieure des peuples, et c'est ce qui contribua le plus à le faire entrer dans les mœurs, si profondément même que ces coutumes ont survécu au paganisme.
Il y avait là, pour les chrétiens, un véritable danger ; tout le monde prenait part à ces réjouissances, qui en elles-mêmes n'avaient rien de condamnable. Mais les circonstances, en les liant à une superstition, les mettaient au service du paganisme naturaliste ; c'était un entraînement auquel on résistait fort mal. Tertullien, le premier, dénonça les chrétiens impudents, qui ne craignaient pas de célébrer ainsi les calendes de janvier, les brumalies et les saturnales. La conversion de l'Empire laissa leur popularité aux réjouissances solsticiales dans l'Afrique romaine, à Rome et dans les Gaules. Les évêques voyaient ce fait avec mécontentement ; saint augustin protestait avec énergie. Habeamus solemnem istum diem, disait-il, non sicut infideles, prpter hunc solem, sed propter eum qui fecit hunc solem, solennisons ce jour, non comme des infidèles, à cause du soleil, mais à cause de celui qui a fait le soleil. Saint Césaire proscrivit, pour les mêmes motifs, ces survivances païennes ; l'évêque franc, auteur des sermons qui nous sont parvenus sous le nom de saint Éloi, défend aux chrétiens de célébrer les solstices par des danses, des caroles et des chants diaboliques. Mais la fidélité aux superstitions pyrolatriques était tenace ; les évêques ne purent en avoir raison. C'est en vain que Charlemagne leur recommanda, par un capitulaire, de proscrire de nouveau ces feux sacrilèges et ces usages païens ; il fallut en prendre son parti et chercher à transformer, par une intention pieuse, l'abus qu'on ne pouvait supprimer. Cette évolution se produisit l'abus qu'on ne pouvait supprimer. Cette évolution se produisit dans le cours du neuvième siècle : on s'apercevait enfin qu'un retour offensif du paganisme n'était plus à craindre ; il était donc inutile de se prémunir contre un ennemi définitivement vaincu.
La réaction contre les pagania solsticiales avait sans nul doute accru la note joyeuse de la fête de saint Jean-Baptiste. Cette joie spirituelle, par son charme, contribuait à détourner les chrétiens de ces réjouissances profanes ; elle servit à ménager l'évolution, qui débarrassa ces dernières de toute pensée superstitieuses, en les associant à la fête de saint Jean-Baptiste. Le solstice d'été tomba dans l'oubli ; les feux furent allumés pour manifester la joie que la naissance du Précurseur causait au monde ; le feu devint ecclésiastique : le clergé alla processionnellement le bénir ; laJouannée, ainsi que nos pères la nommaient, resta l'une des fêtes les plus populaires et les bourgeois des villes ne l'appréciaient pas moins que les campagnards.
Les Parisiens, entre autres, étaient amateurs des feux de saint Jean ; ils en allumaient un par quartier. Celui de la Bastille passait pour l'un des mieux réussis, la garnison de la forteresse assistait en armes à son embrasement. Il ne valait pas cependant celui de la place de Grève ; on laissait au roi l'honneur de l'allumer : Louis XI le fit en 1471, François Ier en 1528, Henri II et Catherine de Médicis en 1549, Charles IX en 1573, Henri IV en 1596, Louis XIII en 1615 et 1620, Anne d'Autriche en 1616 et 1618, Louis XIV en 1648 ; à partir de cette date, l'honneur d'allumer le feu revint au conseil de ville.
Les hommes de la Révolution furent incapables de comprendre ces réjouissances et elles disparurent, à Paris du moins, en 1789 ; il en fut de même dans la plupart des villes importantes ; à Douai, où la population tenait à ces feux au point d'en allumer un dans chaque rue, tous les soirs du 23 au 29 juin, la police les interdit en 1793 ; ils furent rallumés en 1795 et les années suivantes jusqu'en 1806, sans tenir compte d'une nouvelle défense promulguée en 1797.
Ces réjouissances populaires et religieuses faisaient entrer le sentiment chrétien dans la vie des villages et des villes ; la religion n'était pas reléguée entre les murailles des sanctuaires ; les hommes la connaissaient, ils l'aimaient comme un élément essentiel de leur existence. Les coutumes auxquelles on avait l'esprit de la mêler transmettaient, avec elles, sa pensée d'une génération à l'autre ; cela pouvait aller fort loin, car ces habitudes populaires sont tenaces. Ce fait n'a pas été toujours compris au dix-neuvième siècle. Ces traditions ont eu fréquemment pour adversaires aveugles des catholiques, qualifiés hommes d'œuvre, et des prêtres, qui ont affecté d'y voir des pratiques superstitieuses. C'est ainsi que les feux de saint Jean se sont éteints peu à peu dans un grand nombre de campagnes ; il est juste de dire que saint Jean-Baptiste n'y a pas gagné un rayon de joie spirituelle ; sa fête passe presque inaperçue ; elle attire certainement beaucoup moins de monde à la messe et à la Sainte Table que le premier vendredi du mois.