Le blog du Temps de l'Immaculée.

« Du jardin de l’Époux de Dorothée »

05/02/2025

« Du jardin de l’Époux de Dorothée »

En février 304, peu après la parution de l’édit de persécution de Dioclétien, à Césarée de Cappadoce, dans la Turquie actuelle, une vierge consacrée est dénoncée aux autorités romaines comme chrétienne. Elle se nomme Dorothée, « cadeau de Dieu », et son martyre sera l’occasion d’une des premières « floralies » (matérialisation de fleurs) de l’histoire de la sainteté.

Les raisons d'y croire


La « passion » de sainte Dorothée (le récit de son martyre), telle qu’elle nous est parvenue, est un document tardif, réécrit et interpolé. Mais on y identifie les passages où l’auteur a utilisé le récit d’origine.


La date avancée pour la mort de Dorothée, le 6 février 304, correspond à l’entrée en vigueur de l’édit de persécution, le premier appliqué dans tout l’Empire avec une rigueur et une cruauté inédites.


La jeune fille, une vierge consacrée au Christ, a été dénoncée, ce qui est conforme à la procédure juridique du IVe siècle, par un prétendant éconduit. Or, si une vierge consacrée était dénoncée et qu’elle refusait de renoncer à son vœu de virginité (donc de se marier), elle était systématiquement condamnée à mort et ses biens saisis au profit de son délateur. Seul un premier récit contemporain des faits peut connaître dans le détail ce point de droit complexe. Le texte souligne que Théophile, le prétendant éconduit, est – ce n’est pas un hasard – soit étudiant en droit, soit avocat stagiaire, soit accusateur public au tribunal. Ces détails-là sonnent donc juste.


Dorothée refuse de sacrifier aux dieux et d’apostasier ; elle est « une fille orgueilleuse » – orgueil signifiant prétention à connaître la vérité et à professer des certitudes religieuses réputées inconnaissables. Là encore, le terme correspond aux façons de penser de l’époque.

Alors qu’elle est torturée, Dorothée se met à proclamer la gloire éternelle du Christ, son Époux, et déclare : « Mon mari m’invite en son jardin des délices où, en toutes saisons, les arbres portent fleurs et fruits, les lis demeurent immaculés, les roses dans la gloire de leur floraison, les prairies verdoyantes, les collines doucement ombragées, les fontaines intarissables. »

 

Décrire le paradis comme un jardin est non seulement un rappel du paradis terrestre, « le jardin planté en Eden », mais une image familière aux premiers chrétiens. Un siècle auparavant, en 204, dans son Journal de captivité, la martyre Perpétue de Carthage raconte comment elle a été, lors d’une vision, transportée dans le jardin où le Christ les attendait, ses compagnons et elle.


Bien plus tard, apparaissant à Jean Bosco, Dominique Savio se montrera à lui au milieu d’un jardin splendide et expliquera que cette image est la seule permettant, de ce côté de la réalité, d’avoir une idée de la beauté et du bonheur qui attendent les élus. L’image du jardin est sans doute réellement venue à Dorothée.


Mais, pour l’auditoire païen, il s’agit des délires d’une pauvre fille prête à mourir pour un rêve absurde, et Théophile se moque de celle qu’il envoie au bourreau. Il lance à la martyre partant vers le supplice, défigurée par les coups reçus et les tortures endurées : « Dis donc, belle épouse du Christ, quand tu seras dans le jardin des délices de ton mari, n’oublie surtout pas de m’en faire envoyer des fleurs et des fruits ! »

 

Tandis que la tête de Dorothée tombe sous l’épée du bourreau, une main tire sur la tunique de Théophile, entouré de ses amis. Il voit un enfant délicieusement beau, qui, d’une voix adulte, déclare : « Voici ce que, sur ta demande, Dorothée, vierge très pure et très sainte, t’envoie du beau jardin de son Époux. » Puis, posant un panier rempli de roses et de fruits magnifiques aux pieds du jeune homme, l’ange disparaît, laissant Théophile sidéré.

 

Le sacrifice de Dorothée et le pardon accordé à son délateur ont sauvé l’âme du jeune homme, qui s’est converti à la suite de cet événement.


Un ange gardien sous l’apparence d’un petit garçon, la vie des saints en connaît bien d’autres. Celui de sainte Françoise Romaine lui apparaît ainsi pour la consoler de la mort de ses plus jeunes enfants et, dans la nuit du 19 juillet 1830, celui de sainte Catherine Labouré, venu la chercher pour la conduire à la chapelle de la rue du Bac, où la Sainte Vierge l’attend, choisit cet aspect rassurant mais parle « comme un homme et l’homme le plus fort ». L’anecdote est donc bien moins fantaisiste qu’il y semble.

 

Début février, en Cappadoce, c’est l’hiver, terrible. Le vent glacial venu des hauts plateaux d’Asie Mineure souffle en rafales ; il neige, le froid est intense. Il serait vain de chercher dans les jardins de la région fleur ou fruit. Il faut donc que ceux-là viennent, en effet, du « beau jardin » de Dorothée.

 

Ce type de miracle, appelé « floralie », se reproduira, jusqu’à nos jours, avec une tranquille régularité, qu’il s’agisse de brassées de fleurs trouvées, à la place du pain que l’on y cherchait, dans le tablier d’une sainte accusé d’être trop charitable, de fruits qui poussent dans un jardin gelé parce qu’un saint, mourant, le demande, ou de fleurs fraîches magnifiques qui jonchent la chambre d’une religieuse en difficulté…


Aucune explication matérielle n’a jamais été trouvée à ces phénomènes. Il n’y a donc aucune raison de mettre en doute la floralie dont Dorothée a bénéficié.


Auteur : Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.