Le blog du Temps de l'Immaculée.
16/12/2024
Parmi les saints, il existe de nombreuses différences, autant de façons d’être saint, même si tous partagent le désir ardent de suivre Dieu de toutes leurs forces. La sainteté est un fleuve aux multiples affluents.
Certains saints sont plus populaires que d’autres pour des raisons historiques ou dévotionnelles qui peuvent parfois échapper à une compréhension immédiate. Pensez à saint Antoine de Padoue, à Padre Pio, à sainte Rita de Cascia, et bien d’autres encore. D’autres, malgré leur grandeur évidente, sont peut-être moins présents dans la dévotion populaire, comme ce carme espagnol que l’Église célèbre le 14 décembre : saint Jean de la Croix (1540-1591). Avec sainte Thérèse d’Avila, une autre grande carmélite espagnole, il fut l’un des réformateurs de l’ordre carmélitain. Pour la profondeur de ses écrits mystiques et poétiques, il fut également proclamé Docteur de l’Église.
Le prêtre salésien Mario Scudu écrit à son sujet :
« Dans l’imaginaire collectif, la grandeur d’un homme est mesurée et admirée non seulement par la manière dont il a su vivre son aventure humaine, mais aussi par la façon dont il a affronté les heures du passage ultime, des tourments de la vie mortelle à ‘l’autre rive,’ celle de Dieu. Le moment de la mort : celui des choix définitifs, la ‘crise’ finale qui fait peur à tous. Jean de la Croix, sur son lit de mort, alors que ses confrères lui lisaient les prières des mourants, demanda quelque chose de plus ‘joyeux.’ Il demanda expressément quelques versets du Cantique des Cantiques, un magnifique et bouleversant poème d’amour de l’Ancien Testament (qu’il connaissait bien). N’allait-il pas, après tout, à la rencontre de l’Amour ? Quelque chose de plus approprié s’imposait. Après la lecture, Jean acheva son chemin terrestre en priant les paroles ‘Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit.’ Autrement dit, entre les mains du Dieu Amour pour lequel il avait vécu, travaillé et souffert, ce Dieu qu’il avait aimé, prêché et chanté. Quelques années auparavant, il avait écrit le poème ‘Déchire maintenant la toile pour la douce rencontre.’ Voilà ce qu’était la mort pour lui : une ‘douce rencontre’ avec le Dieu Amour. Il avait 49 ans, tous consacrés à Dieu. »
Il nous semble difficile de comprendre comment on peut trouver de la joie dans les adversités de la vie, des adversités que Jean connut, y compris un emprisonnement qui dura plusieurs mois. Et pourtant, il faut comprendre que ceux qui atteignent les sommets du mysticisme comme lui, comme Thérèse d’Avila, et comme une autre grande carmélite plus proche de nous, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, vivent sur un plan différent du commun des mortels. Un plan où les perspectives sont parfois opposées à celles du monde.
Dans sa Montée du Carmel, Jean de la Croix méditait :
« L’âme doit toujours s’efforcer de s’incliner non vers ce qui est le plus facile, mais vers ce qui est le plus difficile ; non vers ce qui est savoureux, mais vers ce qui est insipide ; non vers ce qui plaît, mais vers ce qui déplaît ; non vers le repos, mais vers le travail ; non vers le confort, mais vers l’inconfort ; non vers le plus, mais vers le moins ; non vers ce qui est le plus élevé et apprécié, mais vers ce qui est le plus bas et méprisé ; non à rechercher quelque chose, mais à ne rien désirer ; non à chercher le meilleur côté des choses créées, mais le pire, et à désirer la nudité, les privations et la pauvreté de tout ce qui existe dans le monde par amour pour Jésus-Christ. »
Cela ne semble-t-il pas complètement contraire à ce que le monde suggère ? Pourtant, ce n’est qu’à travers ce type de mortification que nous pouvons faire taire nos sens, afin que la voix de Dieu puisse être entendue, une fois le tumulte de nos passions apaisé.
Ailleurs, dans la même œuvre, Jean donne des conseils qui peuvent nous surprendre si nous les regardons avec les yeux du monde :
« Pour parvenir à goûter le tout, ne cherche pas à goûter quelque chose. Pour parvenir à posséder le tout, ne cherche pas à posséder quoi que ce soit. Pour parvenir à être le tout, ne cherche pas à être quelque chose. Pour parvenir à connaître le tout, ne cherche à savoir quelque chose en rien. Pour parvenir à ce que tu ne goûtes pas, tu dois passer par où tu ne goûtes pas. Pour parvenir à ce que tu ne sais pas, tu dois passer par où tu ne sais rien. Pour parvenir à posséder ce que tu n’as pas, tu dois passer par où tu n’as rien. Pour parvenir à ce que tu n’es pas, tu dois passer par où tu n’es rien. »
Quel vertige face à de telles hauteurs ! Voici un relativisme sain, celui qui met entre parenthèses les choses humaines, celles auxquelles nous ne pouvons nous empêcher d’être attachés : notre vie, notre santé, nos plaisirs. Pourtant, cette sagesse est commune à toutes les grandes traditions, y compris à la sagesse chinoise incarnée par le maître Confucius :
« Pour mettre le monde en ordre, il faut d’abord mettre la nation en ordre. Pour mettre la nation en ordre, il faut d’abord mettre la famille en ordre. Pour mettre la famille en ordre, il faut d’abord cultiver sa vie personnelle. Pour cultiver sa vie personnelle, il faut d’abord mettre son cœur en ordre. »
La conversion du monde à Dieu commence dans notre cœur, et non avec de grandes idées ou des plans décennaux.
Le 4 novembre 1982, lors d’une homélie pour une célébration de la Parole à Ségovie, le pape Jean-Paul II a parlé de saint Jean de la Croix en ces termes :
« En insistant ainsi sur la pureté de la foi, Jean de la Croix ne nie pas que la connaissance de Dieu puisse être atteinte progressivement à partir des créatures, comme l’enseigne le Livre de la Sagesse et comme le répète saint Paul dans l’Épître aux Romains (cf. Rm 1, 18-21 ; cf. S. Jean de la Croix, Cantique Spirituel, 4, 1). Le Docteur mystique enseigne que, dans la foi, il est également nécessaire de se priver des créatures, qu’elles soient perçues par les sens ou atteintes par l’intellect, afin de s’unir à Dieu dans une connaissance plus profonde. Ce chemin qui mène à l’union passe par la “nuit obscure” de la foi. »
La “nuit obscure”, ce concept qui, après Jean de la Croix, a marqué la vie de nombreux autres chrétiens. La manière dont nous interprétons cette “nuit obscure” conditionne les chemins de notre sainteté. Cela me fait penser à un magnifique livre de Mère Teresa de Calcutta, Viens, sois ma lumière. Jean-Paul II lui-même, dans sa Lettre apostolique Maître dans la foi(1990), a déclaré :
« Seul Jésus-Christ, Parole définitive du Père, peut révéler aux hommes le mystère de la douleur et illuminer par sa croix glorieuse les plus ténébreuses nuits du chrétien. Jean de la Croix, conséquent avec ses affirmations concernant le Christ, nous dit que Dieu, par la révélation de son Fils, «est devenu comme muet et n’a plus d’autre parole à nous communiquer»; le silence de Dieu trouve sa plus éloquente parole, révélatrice de son amour, dans le Christ crucifié. Le Saint de Fontiveros nous invite à contempler le mystère de la croix du Christ, comme il avait l’habitude de le faire, dans la poésie du «Pastoureau», ou encore dans son célèbre dessin du Crucifié, connu comme le Christ de saint Jean de la Croix. Il a certainement écrit l’une des pages les plus sublimes de la littérature chrétienne sur le mystère de l’abandon du Christ. Le Christ a vécu la souffrance dans toute son âpreté jusqu’à la mort de la croix. Sur lui se concentrent, dans les derniers moments, les formes les plus extrêmes de la douleur physique, psychologique et spirituelle: «Mon Dieu, mon Dieu! Pourquoi m’as tu abandonné?» (Mt 27, 46). Cette souffrance atroce, provoquée par la haine et le mensonge, a une profonde valeur rédemptrice. Elle était ordonnée à ce qu’«il payât purement la dette et unit l’homme avec Dieu». Par sa remise amoureuse de soi au Père, au moment du plus grand abandon et de l’amour le plus grand, «il accomplit une œuvre plus grande que les miracles et les œuvres jamais accomplis durant sa vie, au ciel et sur la terre, qui fut de réconcilier le genre humain par la grâce avec Dieu». Le mystère de la croix du Christ dévoile ainsi la gravité au péché et l’immensité de l’amour du Rédempteur de l’homme. »
À la lumière de ces paroles et de l’enseignement de saint Jean de la Croix, on comprend également mieux celles – incroyables – de sainte Thérèse de Lisieux, qui disait aimer la souffrance. Non, humainement parlant, nous ne pouvons et ne devons pas aimer la souffrance ; cela n’est possible que lorsqu’elle est illuminée par une lumière plus grande.
Dans l’œuvre précédemment citée, saint Jean de la Croix écrit également :
« Quand tu t’arrêtes à quelque chose, tu cesses de te lancer vers le tout. Et quand tu atteins le tout, tu dois le posséder sans rien vouloir, car si tu veux posséder quelque chose du tout, tu n’as pas ton unique trésor en Dieu. »
Je pense que passer plus de temps à méditer sur ces grands saints, plutôt que sur les querelles actuelles, nous aidera sur les chemins du bien et de la sainteté.
Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige