Le blog du Temps de l'Immaculée.
15/12/2024
Extrait du discours du pape lors de la Session conclusive du Congrès « La religiosité populaire en Méditerranée » :
[…] D’une part, [la piété populaire] nous rappelle l’Incarnation comme fondement de la foi chrétienne qui s’exprime toujours dans la culture, l’histoire et les langues d’un peuple et qui se transmet à travers les symboles, les coutumes, les rites et les traditions d’une communauté vivante. D’autre part, la pratique de la piété populaire attire et implique également des personnes qui sont au seuil de la foi, qui ne pratiquent pas assidûment mais qui y retrouvent l’expérience de leurs propres racines et affections, ainsi que des idéaux et des valeurs qu’elles considèrent utiles pour leur vie et pour la société.
En exprimant la foi avec des gestes simples et des langages symboliques enracinés dans la culture du peuple, la piété populaire révèle la présence de Dieu dans la chair vivante de l’histoire, renforce la relation avec l’Église et devient souvent une occasion de rencontre, d’échange culturel et de fête ; c’est curieux : une piété qui n’est pas festive n’a pas “une bonne odeur”, ce n’est pas une piété qui vient du peuple, elle est trop “distillée”.
En ce sens, ses pratiques donnent corps à la relation avec le Seigneur et au contenu de la foi. J’aime rappeler, à ce propos, une réflexion de Blaise Pascal qui, dans un dialogue avec un interlocuteur fictif, pour l’aider à comprendre comment parvenir à la foi, dit qu’il ne suffit pas de multiplier les preuves de l’existence de Dieu ou de faire trop d’efforts intellectuels. Il faut plutôt regarder ceux qui ont déjà progressé sur le chemin, parce qu’ils ont commencé avec peu de choses, « en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes » (Pensées, in Œuvres complètes, Paris 2000, n. 681). Ce sont les petits pas qui vous font avancer. La piété populaire est une piété qui est impliquée dans la culture, mais qui ne se confond pas avec la culture. Et elle avance à petits pas.
Il ne faut donc pas l’oublier : « Dans la piété populaire, on peut comprendre comment la foi reçue s’est incarnée dans une culture et continue à se transmettre ». « Se trouve donc en elle une force activement évangélisatrice que nous ne pouvons pas sous-estimer : ce serait comme méconnaître l’œuvre de l’Esprit Saint » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 123 ; n. 126), qui agit dans le saint Peuple de Dieu, en le faisant avancer dans les discernements quotidiens. Pensons au pauvre diacre Philippe, qui un jour a été conduit [par l’Esprit] sur une route et a entendu un païen, un serviteur de la reine Candace d’Éthiopie, lire le prophète Isaïe et ne rien comprendre. Il s’est approché : « Comprends-tu ? ». – Non. Et il lui a annoncé l’Évangile. Et cet homme, qui avait reçu la foi à ce moment-là, s’approchant de l’endroit où il y avait de l’eau, dit : “Dis-moi, Philippe, peux-tu me baptiser, maintenant, ici, qu’il y a de l’eau ?” Et Philippe n’a pas dit : “Non, il doit suivre le cours, il doit amener le parrain et la marraine, tous deux mariés dans l’Église ; il doit faire ceci… ”. Non, il l’a baptisé. Le baptême est précisément le don de la foi que Jésus nous fait.
Nous devons veiller à ce que la piété populaire ne soit pas utilisée, instrumentalisée par des groupes qui entendent renforcer leur identité de manière polémique, en alimentant des particularismes, des oppositions, des attitudes d’exclusion. Tout cela ne répond pas à l’esprit chrétien de la piété populaire et appelle chacun, en particulier les pasteurs, à la vigilance, au discernement et à la promotion d’une attention constante aux formes populaires de la vie religieuse.
Lorsque la piété populaire réussit à communiquer la foi chrétienne et les valeurs culturelles d’un peuple, unissant les cœurs et fusionnant une communauté, un fruit important naît qui rejaillit sur l’ensemble de la société comme sur les relations entre les institutions politiques, sociales et civiles, et l’Église. La foi ne reste pas un fait privé, nous devons nous méfier de ce développement, je dirais hérétique, de la privatisation de la foi ; les cœurs s’amalgament et vont de l’avant…, un fait qui s’épuise dans le sanctuaire de la conscience, mais – si elle entend être pleinement fidèle à elle-même – elle implique un engagement et un témoignage envers tous pour la croissance humaine, le progrès social et la protection de toute la création, sous le signe de la charité. C’est justement pour cette raison qu’à partir de la profession de la foi chrétienne et de la vie communautaire, animée par l’Évangile et les sacrements, d’innombrables œuvres de solidarité et institutions ont vu le jour au cours des siècles comme les hôpitaux, les écoles, les centres de soins – en France, il y en a beaucoup ! – où les croyants se sont engagés auprès des plus démunis et ont contribué à la croissance du bien commun. La piété populaire, les processions et les rogations, les activités caritatives des confréries, la prière communautaire du Saint Rosaire et d’autres formes de dévotion peuvent nourrir cette, permettez-moi de la qualifier ainsi, “citoyenneté constructive” des chrétiens. La piété populaire vous donne une “citoyenneté constructive” !
Parfois, certains intellectuels, certains théologiens ne comprennent pas cela. Je me souviens d’être allé une semaine dans le nord de l’Argentine, à Salta, où a lieu la fête du Señor de los Milagros, le Seigneur des miracles. Toute la province, toute, converge vers le sanctuaire, et tous se confessent, depuis le maire jusqu’à tout le monde, parce qu’ils ont cette piété en eux. J’allais toujours confesser, et c’était un travail difficile, parce que tous les gens se confessaient. Et un jour, en sortant, j’ai trouvé un prêtre que je connaissais : “Ah, vous êtes là, comment allez-vous ?” – “Bien !”… Et comme nous sortions, à ce moment-là, une dame s’est approchée avec des images de saints à la main et a dit au prêtre, un bon théologien : “Mon Père, voulez-vous les bénir ?”. Le prêtre, avec une grande théologie, lui dit : “Mais, madame, avez-vous participé à la messe ?”. – “Oui, padrecito” – “Et savez-vous qu’à la fin de la messe on béni tout ?” – “Oui, padrecito” – “Et savez-vous que la bénédiction de Dieu vient de vous ?” – “Oui, padrecito”. À ce moment-là, un autre prêtre l’a appelé : “Oh, comment vas-tu ?”. Et la dame qui avait dit tant de fois “oui, padrecito” se tourna vers celui-là : “Mon Père, voulez-vous me les bénir ?”. Il y a une complicité, une saine complicité qui cherche la bénédiction du Seigneur et qui n’accepte pas les généralisations.
En même temps, sur le terrain commun de cette audace de faire le bien, de demander la bénédiction, les croyants peuvent se retrouver sur un chemin commun avec les institutions laïques, civiles et politiques, pour travailler ensemble à la croissance humaine intégrale et à la sauvegarde de cette “île de beauté”.
D’où la nécessité de développer un concept de laïcité qui ne soit pas statique et figé, mais évolutif et dynamique, capable de s’adapter à des situations différentes ou imprévues, et de promouvoir une coopération constante entre les autorités civiles et ecclésiastiques pour le bien de l’ensemble de la communauté, chacune restant dans les limites de ses compétences et de son espace. Benoît XVI l’a affirmé : une saine laïcité signifie « libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux. […] Une telle saine laïcité garantit à la politique d’opérer sans instrumentaliser la religion, et à la religion de vivre librement sans s’alourdir du politique dicté par l’intérêt, et quelquefois peu conforme, voire même contraire, à la croyance. C’est pourquoi la saine laïcité (unité-distinction) est nécessaire, et même indispensable aux deux » (Exhort. ap. postsyn. Ecclesia in Medio Oriente, n.29). C’est ce qu’a dit Benoît XVI: une saine laïcité, mais à côté d’une religiosité. Les domaines sont respectés.
De cette manière, plus d’énergie et plus de synergies peuvent être libérées, sans préjugés et sans opposition de principe, dans le cadre d’un dialogue ouvert, franc et fructueux.
Chères sœurs et frères, la piété populaire, très profondément enracinée ici en Corse, et ce n’est pas de la superstition, fait émerger les valeurs de la foi et exprime en même temps le visage, l’histoire et la culture des peuples. C’est dans cet entrelacement, sans confusions, que se noue le constant dialogue entre le monde religieux et le monde laïc, entre l’Église et les institutions civiles et politiques. Sur ce sujet, vous êtes en route depuis longtemps, c’est votre tradition, et vous êtes un exemple vertueux en Europe. Continuez sur cette voie! Et je voudrais encourager les jeunes à s’engager encore plus activement dans la vie socioculturelle et politique, sous l’impulsion des idéaux les plus sains et de la passion pour le bien commun. De même, j’exhorte les pasteurs et les fidèles, les hommes politiques et ceux qui exercent des responsabilités publiques à rester toujours proches des peuples, en écoutant les besoins, en comprenant les souffrances, en interprétant les espoirs, parce que toute autorité ne grandit que dans la proximité. Les pasteurs doivent avoir cette proximité : proximité avec Dieu, proximité avec les autres pasteurs, proximité avec les prêtres, proximité avec les peuples, qui sont si proche. Ce sont les vrais pasteurs. Mais le pasteur qui n’a pas cette proximité, pas même avec l’histoire et la culture, est simplement “Monsieur l’Abbé”. Ce n’est pas un pasteur. Il faut distinguer ces deux manières de faire de la pastorale
Je souhaite que ce Colloque sur la piété populaire vous aide à redécouvrir les racines de votre foi et vous incite à un engagement renouvelé dans l’Église et dans la société civile, au service de l’Évangile et du bien commun de tous les citoyens.