Le blog du Temps de l'Immaculée.
13/12/2024
Article de Philippe Maxence extrait de sa lettre Caelum et Terra N°11
Chers amis,
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais l’approche de la fête de Noël me laisse depuis quelques années un goût étrange. Depuis des semaines, les magasins s’emplissent de denrées pour « les fêtes » et les jouets pour les enfants abondent. En fait, tout abonde et, malgré les difficultés économiques que nous traversons, nous vivons encore dans une « société d’abondance » dont Noël marquera l’une des étapes principales. Au fond, il n’y a plus que les chrétiens et les anticléricaux purs et durs à connaître le véritable sens de cette fête. Ces derniers ont bien essayé dans plusieurs grandes villes de France de gommer l’appellation même de Noël, mais, petit à petit, il semble qu’ils font machine arrière. Tant mieux, même si l’aspect sécularisé de Noël y est pour beaucoup plus que son véritable sens religieux.
Quant aux chrétiens, à force de s’être ralliés au système, ils ont été coulés dans la masse et ne représentent plus grand chose socialement. Comme leurs chefs naturels, à savoir les évêques, généralement se taisent ou sont divisés à propos du discours à tenir, il est encore plus difficile de peser sur le cours des choses sociales. Religion de l’Incarnation, fêtée justement la nuit de Noël, le christianisme ressemble de plus en plus à un spiritualisme évaporé, courant après les dernières idées à la mode pour bien montrer qu’il en tient compte. Alors qu’il possède une théologie de la Création, il s’est ainsi embringué derrière l’écologisme. Alors qu’il a une théologie politique, il a épousé, sans consentement mutuel, la démocratie universelle et obligatoire. Alors qu’il est la religion d’un Dieu incarné, il a rejeté les conséquences de l’Incarnation jusqu’à louer les vertus d’une laïcité militante et antichrétienne.
Le christianisme ne manque pas de trésors dans son riche patrimoine spirituel, théologique, philosophique ou dans son histoire, riche en événements, en saints et en exemples de missions. Alors qu’on l’a chassé par la porte en la réduisant le plus souvent à une prise d’otage d’une assemblée par un prêtre et une équipe liturgique, la liturgie est revenue par la fenêtre. De plus en plus, les jeunes générations catholiques s’y intéressent, cherchant à comprendre pourquoi leur manière de prier ne ressemble pas à celle de leurs (arrière grands) parents ou pourquoi un rite autrefois répandu dans toute la chrétienté a pu être interdit du jour au lendemain alors qu’il témoigne d’une véritable ouverture à la transcendance.
Quand ils découvrent toute l’armature liturgique qui entoure le rite ancien, certains en viennent à s’interroger sur d’autres disparitions. Ainsi celle des Quatre-Temps, dont on a perdu la trace du moins en France depuis des décennies. Aucun avis de recherche n’a été lancé ; aucune véritable enquête n’a été menée.
Pour mémoire, les Quatre-Temps constituent un rendez-vous liturgique qui remonte aux premières heures du christianisme et qui marquait le changement de saison par des jours de jeûne et d’abstinence le mercredi, le vendredi et le samedi. Les textes de la liturgie, messe et bréviaire, changeaient en partie à cette occasion. Le fondement de cet acte liturgique de pénitence se trouve bien sûr dans l’Ancien Testament sans qu’on ait eu besoin alors de parler de retour aux sources. Celles-ci étaient simplement vivifiées par le sang de l’Agneau.
Pendant des siècles les chrétiens ont marqué les Quatre-Temps alors même qu’ils ne vivaient pas dans la société d’abondance dans laquelle nous sommes plongés. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le pape Pie XII a levé l’obligation du jeûne et l’abstinence des Quatre-Temps. Ne pas manger à sa faim était alors un fait des circonstances et non une décision libre. En revanche il n’a pas supprimé la liturgie qui leur est liée. Après la guerre, l’obligation est revenue, plus ou moins adoucie avant de disparaître dans les faits après la réforme liturgique. Logiquement, ils perdurent aujourd’hui dans le rite traditionnel, au moins liturgiquement car il n’est pas certain du tout que les tenants de cette liturgie suivent l’ancienne obligation du jeûne et de l’abstinence, la succession des normes romaines à ce sujet ne facilitant d’ailleurs nullement les choses.
Les Quatre-Temps d’hiver auront lieu mercredi 18, vendredi 20 et samedi 21 décembre (jour où l’on fête aussi saint Thomas, apôtre). À l’heure où certains d’entre nous s’inspirent des traditions orientales en matière de jeûne ou entendent sauver la planète en réduisant leur consommation de viande, ou plus simplement (?) font des efforts énormes pour maigrir, il est vraiment à se demander pourquoi l’Église catholique ne remet pas à l’honneur, pour des raisons spirituelles, cet effort de pénitence qui passe par le jeûne et l’abstinence.
Certains monastères l’ont gardé et inclus dans le nouveau calendrier. À défaut de le remettre en vigueur à l’échelle de l’Église universelle, il suffirait peut-être que dans nos sociétés d’abondance occidentale on y recoure. Ce n’est pas une idée grandiose ni encore moins une perspective révolutionnaire. Elle donnerait peut-être un peu de sens à plusieurs inspirations de nos contemporains qui ont besoin seulement d’être réorientés vers la vraie finalité de leur existence.
Philippe Maxence