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Boualem Sansal : un retour de la piraterie algéroise ?

29/11/2024

Boualem Sansal : un retour de la piraterie algéroise ?

Avec l’enlèvement de Boualem Sansal, le régime algérien pense pouvoir contraindre la France. Il aurait d’ailleurs tort de ne pas le faire quand, depuis 1962, Paris se plie à toutes les exigences mémorielles d’Alger dont la caste intellectuelle et médiatique parisienne se fait le permanent porte-voix ?  

Au-delà des complaisances et de la mise en dhimitude volontaire du « pays légal » français, l’enlèvement de Boualem Sansal fait immédiatement penser à ce que fut la piraterie algéroise qui porta sur des dizaines de milliers d’Européens. Des malheureux qui, pour la plupart, finirent leurs jours sous les chaines avant d’être enterrés dans la banlieue d’Alger dans ce qui, avant la conquête française de 1830, était désigné comme le « cimetière des chrétiens ».

 

C’est en effet par dizaines de milliers que des hommes, des femmes et des enfants européens furent pris en mer ou enlevés à terre par les pirates d’Alger. De 1689 à 1697, Marseille perdit ainsi 260 navires ou barques de pêche et plusieurs milliers de marins et de passagers, tous ayant été réduits en esclavage. En 1718, la comtesse du Bourk qui avait embarqué à Sète pour rejoindre  son mari ambassadeur en Espagne, fut ainsi capturée en mer avec ses enfants, dont la petite Marie-Anne âgée de 9 ans.

 

Dans une intéressante mise au point publiée en 2004 et consacrée aux captifs britanniques intitulée Face à la violence des Etats barbaresques, quelques voix d’esclaves britanniques  (en ligne), Joëlle Harel explique comment les pirates algérois avaient imposé une sorte d’octroi-tribut aux nations chrétiennes, ce qui produisait une source de revenus quasiment illimitée à la Régence d’Alger. Le Danemark consacrait ainsi 15% de ses revenus commerciaux en méditerranée au tribut versé à Alger afin de garantir la sécurité de ses navires. L’auteur montre également que les Etats d’Europe payèrent cet octroi-tribut essentiellement sous forme de munitions et d’armements. Ainsi, et pendant plusieurs siècles, l’Europe fournit-elle paradoxalement les meilleures armes et les experts militaires nécessaires à leur utilisation, à ses pires ennemis (Harel, 2004 :4-5).

 

Dans son célèbre livre paru en 2003 et intitulé L’Islam et la mer, la mosquée et le matelot (VII°-XX° siècle), Xavier de Planhol a quant à lui détaillé ce type de fourniture : 
« En 1680, la Hollande fournissait à Alger 8 pièces canons, 50 livres de balles avec les accessoires, 40 mâts,500 barils de poudre, 5000 boulets et un vaisseau de câbles et d’agrès et s’engageait à faire de même tous les ans. En 1711, elle donnait 8 canons de bronze, 16 de fer, 24 affûts et 7000 boulets, 600 barils de poudre ; 800 fusiils,400 lames d’épée, 25 mâts et 8 gros câbles. En 1731 la Suède envoyait 800 barils de poudre,8 gros câbles, 50 mâts, 800 fusils,800 sabres,40 pièces de canons et 6000 boulets (Planhol, 2003 :174).

 

Cet octroi-tribut ne garantissait cependant pas la sécurité des navires britanniques puisque, en 1616, Alger détenait 450 vaisseaux de commerce anglais, et, au cours de la seule année 1625, mille marins et pêcheurs de Plymouth furent capturés, certains à moins de 30 miles des côtes (Harel, 2004 :8). Selon Fernand Braudel (1993) La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, entre 1600 et 1640 environ 800 navires de commerce britanniques furent arraisonnés en Méditerranée et 12 000 marins ou passagers capturés. Entre 1660 et 1730, environ 20 000 britanniques furent détenus en esclavage, essentiellement à Alger.

 

En 1682, afin de tenter de mettre un terme à cette véritable saignée, l’Angleterre conclut un traité de paix bien inégal avec Alger car, en échange de promesses qui ne furent guère tenues, elle lui livra un énorme matériel de guerre tout en lui abandonnant 350 bâtiments de commerce capturés, ainsi que leurs équipages devenus esclaves et qui ne furent semble-t-il pas libérés. Quant à l’affront fait au consul anglais qui avait été attelé à une charrue, il fut diplomatiquement « oublié » (Harel, 2004 :12).


Ces raids se poursuivirent jusqu’au début du XIX° siècle. Ainsi, Ciro, petit port de Calabre fut-il attaqué et razzié à trois reprises en 1803 et deux en 1804.

 

Grâce aux rapports des pères des Ordres religieux dits de « rédemption des captifs », qu’il s’agisse de l’Ordre des Trinitaires fondé par Jean de Matha et Félix de Valois, ou des Pères de la Merci, les Mercédaires, un ordre religieux fondé par Pierre Nolasque, nous connaissons les noms de milliers d’esclaves rachetés, ainsi que leurs villes ou villages d’origine, cependant que, faute de moyens, des dizaines de milliers d’autres ne le furent pas et moururent dans les chaînes.

 

En 1643, le Père Lucien Héraut, prêtre de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, rentra en France avec 50 malheureux Français qu’il venait de racheter aux esclavagistes algérois. Faute de moyens, la mort dans l’âme, il avait laissé derrière lui plusieurs milliers d’autres Français, sans compter les milliers d’esclaves appartenant aux autres nations européennes.

 

Dans une lettre d’une grande puissance de témoignage adressée à Anne d’Autriche, Reine-Régente du royaume de France, le père Héraut se fit l’interprète des captifs, s’adressant à la reine en leur nom, afin de lui demander une aide financière pour les racheter. Une lettre qui devrait clore les prétentions et les exigences d’excuses des descendants des esclavagistes algérois :

« Larmes et clameurs des Chrestiens françois de nation, captifs en la ville d’Alger en Barbarie, adressées à la reine régente, par le R. P. Lucien Heraut, Religieux de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, 1643.
« (…) ainsi qu’il arrive ordinairement aux vassaux de vostre Majesté, qui croupissent miserablement dans l’horrible esclavage (…) cette mesme necessité addresse aux pieds de sa clemence et Royalle bonté, les larmes et soupirs de plus de deux milles François de nation Esclaves en la seule ville d’Alger en Barbarie, à l’endroit desquels s’exerce les plus grandes cruautés que l’esprit humain puisse excogiter, et les seuls esprits infernaux inventer.
Ce n’est pas, Madame, une simple exaggeration (…) de ceux, qui par malheur sont tombés dans les griffes de ces Monstres , et qui ont ressenty, comme nous, leur infernalle cruauté, pendant le long sejour d’une dure captivité, les rigueurs de laquelle nous experimentons de jour en jour par des nouveaux tourments: la faim, le soif, le froid, le fer, et les gibets (…) mais il est certain que les Turcs et Barbares encherissent aujourd’hui par-dessus tout cela, inventans journellement de nouveaux tourments, contre ceux qu’ils veulent miserablement prostituer, notamment à l’endroit de la jeunesse, captive de l’un et l’autre sexe, afin de la corrompre à porter à des pechés si horribles et infames, qu’ils n’ont point de nom, et qui ne se commettent que parmys ces monstres et furies infernales et ceux qui resistent à leurs brutales passions, sont écorchez et dechirez à coup de bastons, les pendants tous nuds à un plancher par les pieds, leur arrachant les ongles des doigts, brullant la plante des pieds avec des flambeaux ardents, en sorte que bien souvent ils meurent en ce tourment.(…)
Les empalements sont ordinaires, et le crucifiment se pratique  parmy ces maudits barbares, en cette sorte ils attachent le pauvre patient sur une manière d’echelle, et lui clouent les deux pieds, et les deux mains à icelle, puis après ils dressent ladite Eschelle contre une muraille en quelque place publique, où aux portes et entrées des villes (…)  et demeurent aussi quelque fois trois ou quatre jours à languir sans qu’il soit permis à aucun de leur donner soulagement.


D’autres sont écorchez tous vifs, et quantitez de bruslez à petit feu à la moindre accusation et sans autre forme de procez, sont trainez à ce rigoureux supplice, et là attachez tout nuds avec une chaine à un poteau, et un feu lent tout autour rangé en rond, de vingt-cinq pieds ou environ de diametre, afin de faire rostir à loisir, et cependant leur servir de passe-temps, d’autres sont accrochez aux tours ou portes des villes, à des pointes de fer, où bien souvent ils languissent fort long temps ».

 

Pour en savoir plus, on se reportera à deux de mes livres :
- Esclavage, l’histoire à l’endroit
- Algérie, l’histoire à l’endroit