Le blog du Temps de l'Immaculée.
10/10/2024
Dans la nuit du 10 au 11 octobre 1918, le cuirassé français Voltaire, rejoignant la flotte d’Orient, navigue dans le canal de Cervi, non loin de Cythère (mer Égée). Le temps est beau et la visibilité excellente, ce qui l’expose à une attaque de la marine allemande, dont les sous-marins, les U Boot, sont la terreur des navires alliés.
Vers 3h du matin, deux explosions secouent le Voltaire. L’équipage ne s’y trompe pas, ils viennent d’être torpillés deux fois… En pareil cas, les statistiques le prouvent, les chances d’un navire de rester à flot et réussir à se mettre à l’abri sont quasi-nulles. Ordre est donné de gagner les postes d’abandon et se préparer à évacuer. Or, à la stupeur générale, le cuirassé ne prend pas de gîte, ne chavire pas et reste manœuvrable. Le responsable des machines dit alors au commandant, Henri de Stabenrath : « Ne vous en faites pas, commandant ! Nous ne périrons pas ! Nous avons le Bon Dieu à bord. »
Nous sommes parfaitement renseignés sur les mouvements du cuirassé Voltaire, y compris le torpillage du 10 octobre 1918, non seulement par les archives militaires françaises mais par celles de la Marine allemande puisque le commandant du U Boot 48, Wolfgang Steinbauer, signale avoir torpillé un cuirassé français dans le canal de Cervi. Ne l’ayant pas coulé, il croit à une erreur de tir qui aurait fait manquer la cible.
Or, à cet endroit, manquer le Voltaire reviendrait à manquer un éléphant dans un couloir. En fait, les torpilles allemandes ont bel et bien touché au but. Le cuirassé n’a pourtant pas coulé.
Depuis le début de la Grande Guerre, en France, un large mouvement d’opinion demande la consécration du pays et ses armées au Sacré Cœur, mouvement renforcé par les révélations du Christ à une jeune paysanne vendéenne, Claire Ferchaud, qui, en 1917, supplie le gouvernement français d’obéir aux demandes du Ciel et placer le sacré-cœur sur les drapeaux et fanions afin qu’il nous donne la victoire. Bien entendu, cette supplique est rejetée mais des officiers acceptent de prononcer en secret des consécrations privées et n’appliquent pas les consignes condamnant le port, sous l’uniforme, à titre individuel, d’un insigne du Sacré Cœur. Cette dévotion est populaire parmi l’équipage du Voltaire et de nombreux officiers et matelots arborent visiblement l’insigne interdit. Cela n’est pas anodin.
Le navire n’a pas d’aumônier attitré mais, à Toulon, l’on a autorisé à monter à bord le Père Jérôme Gabriel Niorthe. L’équipage, en installant la cabine du dominicain, a voulu transformer sa petite armoire en tabernacle pour lui permettre d’y conserver la réserve eucharistique. Le Saint Sacrement se trouve donc à côté de la couchette du prêtre. En voyant le prêtre monter à bord, tous ont dit : « Celui-là va nous attirer la protection de Dieu sur ce vieux Voltaire ! »
La cabine du prêtre se trouve à tribord, au milieu de la longueur du bâtiment, c’est-à-dire au point le plus exposé du navire, celui où les effets d’un torpillage seraient les plus dévastateurs. C’est précisément le point que visaient les torpilleurs allemands et qu’ils n’ont pas atteint, une force inexpliquée ayant dévié les projectiles qui ont frappé plus haut.
Le premier souci du Père Niorthe, quand il comprend que le cuirassé a été torpillé, est de récupérer la réserve eucharistique et, l’emportant avec lui, de descendre vers la salle des machines alors qu’ordre est donné de monter sur les ponts pour évacuer. Insouciant de sa propre survie, il veut s’assurer que personne n’a besoin d’un prêtre en dessous.
Or, comme il le constate, le Voltaire ne compte ni mort ni blessé. L’équipage est indemne, ce qui relève de l’impossible.
Le Voltaire réussit à gagner le port grec de Milo où l’on constate la gravité de ses avaries et s’étonne qu’il ait pu continuer sa route et se mettre à l’abri, comme l’on s’étonne de l’absence de victimes. Seuls les officiers et l’équipage savent à qui ils doivent leur survie : ils n’ont pas attendu d’être à Milo pour demander au dominicain de célébrer une messe d’action de grâce à bord.
Certains officiers vont rédiger un récit des événements qui, à quelques semaines de la fin de la guerre, n’attirera pas l’attention. Seule la presse religieuse en fera état, en 1920, à l’occasion de la mort du Père Niorthe.
Auteur : Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Photo : Le cuirassé Voltaire dans le port de Toulon / © CC0 Wikimédia.